Texte corédigé par Maria Camila Gallego Betancur et Luísa Novara
L’environnement, c’est l’affaire de tout le monde – encore faut-il savoir de quoi on parle! Dans cette nouvelle série, le GRAME démystifie 10 notions environnementales dont nous entendons souvent parler dans les médias ou simplement dans notre vie de tous les jours.
Dans ce dernier article de la série, nous parlons de résilience écologique, qui est essentielle pour s’adapter à un monde de plus en plus perturbé par les changements climatiques.
C’est quoi, la résilience écologique?
La résilience écologique est une notion sur laquelle la communauté scientifique n’a pas de consensus clair, mais une bonne partie des recherches s’entendent pour dire qu’il s’agit d’un aspect qui contribue à la stabilité d’un système.
Démystifions le terme « stabilité »
La stabilité d’un système ou la stabilité écologique, en termes simples, correspond à la capacité d’un ensemble d’espèces à remplir leurs fonctions écosystémiques (Van Meerbeek et al., 2021). Tel que nous l’avons vu dans l’article sur la biodiversité, les espèces remplissent des fonctions associées à des services écosystémiques qui assurent la survie sur Terre. Mais pour que cela soit possible à long terme, une stabilité est nécessaire.
Une façon de mieux comprendre ce concept de stabilité est de le voir comme une petite balle qui se repose dans un bassin. Lorsque des perturbations surviennent, la balle s’éloigne du fond du bassin, mais différents éléments peuvent lui permettre de revenir à sa position initiale. Le système composé par le bassin et la balle est donc dans un équilibre qu’on appelle stabilité.
Les perturbations ont un sens très large. Elles peuvent être de différentes natures et peuvent avoir différentes durées, comprenant des changements de conditions abiotiques (par exemple, dans le régime de précipitation) ou des interactions biotiques d’un système (par exemple, la disparition d’un prédateur). Ces changements peuvent être d’origine anthropique (c’est-à-dire causé par les activités humaines) ou naturelle.
De manière générale, la stabilité est influencée par 5 aspects, dont la résilience fait partie (Van Meerbeek al., 2021) :
La résilience joue donc un rôle important dans la stabilité écologique, puisque au plus un système peut retrouver facilement son état original, au plus on minimise les dommages sur les services écosystémiques.
Mais qu’est-ce qui contribue à la résilience écologique?
Les caractéristiques d’un système résilient
Différents phénomènes dans la nature permettent à un système d’être plus résilient. Toutefois, avant d’en aborder quelques-uns, il est important de comprendre comment fonctionnent ces systèmes en s’attardant aux deux composantes de la diversité biologique, aussi appelée biodiversité.
- La richesse, qui correspond au nombre d’espèces différentes de la communauté. On parle souvent de diversité des espèces, mais quand on aborde la résilience écologique, on tiendra aussi compte de la diversité des fonctions remplies par ces espèces, puisque ce sont des éléments qui contribuent à la stabilité écologique.
- L’abondance, c’est-à-dire la taille des populations de chaque espèce.
Un champignon plus adapté à des températures froides sera plus actif et abondant en hiver, tandis qu’un champignon plus adapté à températures chaudes sera plus actif et abondant en été. L’alternance de leur abondance assure la décomposition de matière organique et la formation de sol tout le long de l’année.
Comment préserver la résilience écologique?
Les activités humaines résultant en déforestation s’attaquent à la diversité, puisqu’elles réduisent la richesse des communautés et l’abondance des espèces. Moins il y a d’espèces et moins elles sont abondantes, moins il y aura de diversité et de redondance des fonctions écologiques. Par conséquent, moins le système sera stable et moins les services écosystémiques seront assurés à long terme.
« Comme dans la permaculture, on veut miser sur des systèmes durables, les plus autosuffisants possibles pour l’avenir. Avoir des systèmes intégrés qui assurent le cyclage des nutriments, la formation de sols fertiles, qui favorisent la pollinisation... Plutôt que d'insister sur manger des tomates toute l’année. »
Luísa Novara, Chargée de projets en gestion de matières résiduelles (GMR)
Bien que le scénario idéal soit d’arrêter les perturbations extrêmes causées par les activités humaines sur l’environnement, il est indispensable d’adopter une politique de conservation et de gestion de l’environnement axée sur le maintien d’écosystèmes résilients et stables (Oliver et al., 2015). Cela s’avère encore plus essentiel dans le contexte actuel de changements climatiques, vu que seulement des communautés résilientes seront capables de garantir le maintien des fonctions et des services des écosystèmes dans des nouvelles conditions environnementales. Il y a heureusement des solutions qui peuvent être mises en place pour favoriser la résilience écologique, mais également de pratiques anciennes qui peuvent être mises de côté.
Au niveau de la conservation, il est temps d’abandonner l’approche misée sur la protection absolue ou isolée des espèces. Bien sûr, les espèces d’une communauté sont essentielles dans la provision des fonctions écosystémiques. Cependant, la constance de la composition de la communauté en tant que telle n’est pas un prérequis nécessaire à la résilience des communautés. Le renouvellement d’espèces pourrait être la chose même qui permet d’assurer la continuité des fonctions écosystémiques dans le futur (Oliver et autres, 2015). Par exemple, en ayant des communautés soumises au réchauffement climatique, on s’attend à un déclin des espèces adaptées au froid parallèlement à une augmentation des espèces adaptées au chaud. Le déclin des espèces adaptées au froid peut être limité par aménagement, mais souvent leur perte locale est inévitable. Si ces espèces ont des rôles fonctionnels importants, les fonctions écosystémiques peuvent être menacées à moins qu’autres espèces jouant des rôles similaires leur remplacent (Oliver et autres, 2015).
« Les activités humaines réduisent le nombre et l’abondance des espèces. Ce faisant, elles enlèvent de la diversité fonctionnelle des communautés, ainsi que de la résilience. Face à ça, en conservation, on a tendance à vouloir reconstruire les communautés telles qu’elles étaient avant, ce qui est très logique ! Toutefois, dans le contexte actuel de changements climatiques et de perturbations anthropiques qui ne cessent pas, il n’y a aucune garantie qu'essayer à tout prix de garder la même composition d’espèces pourra assurer les fonctions et services écosystémiques à long terme. Notre meilleure chance est de miser sur la résilience des communautés. »
- Luísa Novara, Chargée de projets en gestion de matières résiduelles (GMR)
Comment faire cela concrètement ? D’abord, il faut identifier les caractéristiques des communautés qui ont un rapport avec leur résilience et stabilité, ce qui est déjà fait. Il faut ensuite créer des modèles théoriques qui expliquent comment ces caractéristiques influencent la résilience et la stabilité, ainsi que des indices capables de mesurer différents aspects de la stabilité et de la résilience, ce qui est en cours. Les modèles et les indices doivent être validés par des études empiriques, c’est-à-dire, avec des données réelles. En dernier, après avoir assuré leur efficacité, il faut intégrer l’utilisation des outils créés dans les plans de conservation, dans le but de développer des mesures d’action qui pourront effectivement conserver ou augmenter la résilience des communautés.
Alors que le réchauffement planétaire ne cesse d’augmenter, les perturbations climatiques sont de plus en plus fréquentes, mais aussi plus dommageables pour les écosystèmes. Cela rend leur stabilité plus fragile, affectant les fonctions écosystémiques que les communautés peuvent fournir et qui sont au cœur de notre survie. Nous devons donc assurer du mieux possible la résilience des écosystèmes, qui nous permettront à nous et aux générations futures de mitiger l’impact du réchauffement climatique.
Nous souhaitons mentionner le soutien de Diana Bertuol Garcia, étudiante de doctorat à l’Université de Victoria, dont les recherches portent sur les facteurs de résilience des communautés restaurées face à des événements climatiques extrêmes, qui nous a gentiment suggéré la bibliographie sur laquelle est basé cet article.
de Bello, F; Lavorel, S; Hallett, L. M; Valencia, E; Garnier, E; Roscher, C; Conti, L; Galland, T; Goberna, M; Májeková, M; Montesinos-Navarro, A; Pausas, J. G; Verdú, M; E-Vojtkó, A; Götzenberger, L; Lepš, J. Functional trait effects on ecosystem stability: assembling the jigsaw puzzle. Trends in Ecology & Evolution. 2021; 36: 822-836. https://doi.org/10.1016/j.tree.2021.05.001.
Oliver, T. H; Heard, M. S; Isaac, N. J. B; Roy, D. B; Procter, D; Eigenbrod, F; Freckleton, R; Hector, A; Orme, C. D. L; Petchey, O. L; Proença, V; Raffaelli, D; Suttle, K. B; Mace, G. M; Martín-López, B; Woodcock, B. A; Bullock, J. M. Biodiversity and Resilience of Ecosystem Functions. Trends in Ecology & Evolution. 2015; 30: 673-684. https://doi.org/10.1016/j.tree.2015.08.009.
Van Meerbeek, K; Jucker, T; Svenning, J-C. Unifying the concepts of stability and resilience in ecology. Journal of Ecology. 2021; 109: 3114– 3132. https://doi.org/10.1111/1365-2745.13651.