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Hydrogène et bioénergies : usages et mirages

Écrit par :

Andréas Louis
Analyste en environnement (2021-2022)

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Le gouvernement du Québec s’est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 37,5 % en 2030 par rapport à 1990, et vise la carboneutralité à l’horizon 2050 ainsi qu’une réduction de la consommation de produits pétroliers de 40 % en 2030 par rapport à 2013. Dans ce contexte, le gouvernement a publié son Plan pour une économie verte 2030 (PEV 2030), qui annonçait l’élaboration de la première stratégie sur l’hydrogène vert et les bioénergies.

À la suite d’une première consultation publique ayant eu lieu au printemps 2021, une proposition des principaux éléments qui pourraient guider le développement d’une stratégie de l’hydrogène vert et des bioénergies au Québec ont été définis par le gouvernement. Une seconde consultation vient de s’achever à l’hiver 2022 pour valider, ou non, les orientations ministérielles et proposer des mesures concrètes. C’est dans ce cadre que le GRAME s’est allié avec le Mouvement écocitoyen UNEplanète et le Regroupement Vigilance Hydrocarbures Québec afin de déposer un mémoire faisant part de leurs recommandations communes. Nous vous en présentons les principales recommandations dans cet article.

Hydrogène vert et bioénergies : c’est quoi ?

L’hydrogène vert est le dihydrogène issu soit :

  • de l’électrolyse de l’eau à partir d’électricité renouvelable : les molécules d’eau (H2O) sont séparées en deux gaz, le dihydrogène (H2) et le dioxygène (O2), grâce à un courant électrique produit à partir d’énergies renouvelables ;
  • de biomasse, notamment par gazéification : de la biomasse est décomposée par de la chaleur et un mélange de gaz, formant finalement un gaz composé en partie de dihydrogène.

Les potentiels d’application de l’hydrogène au Québec sont détaillés ici :

Source : Gouvernement du Québec (2021). Vers une stratégie sur l’hydrogène vert et les bioénergies 2030 - Document de consultation.

Les bioénergies sont des énergies renouvelables issues de matières organiques comme :

  • la biomasse forestière : bois et parties d’arbre ;
    la biomasse agricole et maricole : cultures végétales et leurs résidus, déjections animales ;
  • la biomasse municipale, commerciale et industrielle : résidus de secteurs industriels ;
  • mais peuvent aussi être issues d’hydrogène vert.

Les potentiels d’application des bioénergies au Québec sont détaillés ici :

Source : Gouvernement du Québec (2021). Vers une stratégie sur l’hydrogène vert et les bioénergies 2030 - Document de consultation.

L’hydrogène, ou la fausse bonne idée

Premièrement, il faut savoir que la production d’hydrogène par électrolyse de l’eau est un processus qui entraîne des pertes énergétiques. En effet, il faut dépenser plus d’énergie pour produire l’hydrogène vert par ce processus, que l’hydrogène produit peut ensuite en restituer. Par exemple, il faut dépenser 3 kWh d’énergie éolienne produits par vent fort, pour ensuite restituer 1 kWh via l’hydrogène produit dans une période de vent faible. Une grande perte d’efficacité existera toujours, peu importe l’amélioration des technologies.

Deuxièmement, puisque la production d’hydrogène vert entraîne des pertes énergétiques, son avantage serait dans sa capacité à stocker de l’énergie. Sauf que le Québec bénéficie d’une importante ressource en hydroélectricité, une énergie renouvelable disponible en permanence. Cette disponibilité en permanence est due au fait que l’on peut stocker de l’énergie en fermant les barrages quand on n’en a pas besoin, et la restituer en ouvrant les barrages quand on en a besoin.

Troisièmement, les émissions de GES seraient davantage réduites à l’échelle mondiale (la seule échelle qui compte pour le réchauffement climatique) en exportant les surplus d’hydroélectricité québécoise vers des provinces et États voisins, plutôt qu’en les utilisant pour produire de l’hydrogène. L’hydrogène produit pourrait : 

  • soit être injecté directement dans le réseau de gaz et remplacer une partie du gaz fossile ; 
  • soit être combiné avec du CO2 (formation de gaz naturel renouvelable) pour être injecté dans le réseau de gaz et remplacer une partie du gaz fossile ; 
  • soit être converti en électricité pour recharger des véhicules électriques et remplacer du pétrole utilisé par les voitures thermiques ; 
  • soit être utilisé comme carburant pour les quatre modes de transport (routier, maritime, aérien, ferroviaire) et remplacer du pétrole utilisé actuellement majoritairement par ces modes. 

Dans tous les cas, le GRAME estime que les émissions de GES sont moins réduites en utilisant l’hydrogène sur le territoire québécois, qu’en exportant les surplus d’hydroélectricité québécoise en dehors de son territoire.

Finalement, même si l’on tient à exclure des calculs les GES émis ou évités à l’extérieur du Québec (ce qui n’a pas de sens puisque émettre des GES au Québec ou ailleurs dans le monde a le même impact sur le changement climatique), les kWh d’hydroélectricité disponibles doivent cibler en priorité l’abandon des énergies fossiles au Québec par l’électrification des véhicules et le chauffage des espaces avec des pompes à chaleur géothermiques. Ces options permettent des réductions de GES beaucoup plus importantes que la production et l’usage d’hydrogène.

En revanche, il faut reconnaître que l’hydrogène vert est pertinent dans le cas où il permet de décarboner des secteurs qui sont difficilement électrifiables pour des raisons économiques (par exemple : les réseaux autonomes) ou techniques (par exemple : les procédés haute température ou l’aviation long-courrier).

RECOMMANDATION

Que la stratégie québécoise sur l’hydrogène vert et les bioénergies permette le développement de la filière hydrogène vert seulement dans les cas où ce combustible peut être produit à proximité du lieu de consommation et est la seule option de rechange aux hydrocarbures pour réaliser des procédés industriels spécifiques.

Les bioénergies et leurs usages limités

Premièrement, il faut demeurer prudent lors de l’estimation du potentiel des bioénergies. Actuellement, l’énergie disponible au Québec provenant de la biomasse représente 165 pétajoules par an, soit 7 % de l’énergie totale. Le potentiel technique de la biomasse a été évalué à 326 pétajoules par an pour 2020 et à 333 pétajoules par an pour 2030 par WSP [1]. Donc, l’énergie disponible provenant de la biomasse pourrait au mieux doubler d’ici 2030. Il faut toutefois souligner que le potentiel économique est normalement inférieur au potentiel technique.

Deuxièmement, il faut aussi prendre en compte les impacts sur les écosystèmes. Les sols, qu’ils soient forestiers ou agricoles, ont besoin de la décomposition d’une bonne partie de la masse des plantes et des arbres morts pour demeurer en santé et assurer la pérennité des organismes végétaux et animaux qui en dépendent. Dans les forêts boréales, qu’on rencontre dans une très grande partie du territoire québécois, le sol est généralement peu fertile. Des études sérieuses doivent être faites pour déterminer quelles quantités de matières organiques peuvent être utilisées sans dégrader les milieux d’où elles sont extraites et sans compromettre la vie des espèces qui en dépendent.

Finalement, l’économie circulaire est beaucoup évoquée ces temps-ci. Le meilleur exemple de ce principe se trouve dans une forêt vierge, dont les déchets se décomposent et nourrissent les plantes qui germent, poussent et se relèvent dans une suite quasiment infinie. Perturber sans discernement l’équilibre de ce cycle risque fort de causer des dommages irrémédiables.

RECOMMANDATION

Que la stratégie québécoise sur l’hydrogène vert et les bioénergies permette le développement de la filière des bioénergies seulement dans les cas où ce combustible peut être produit localement, dans le respect des limites biophysiques des écosystèmes, en préservant les milieux naturels et la biodiversité, sans concurrencer la production alimentaire ni des usages plus optimaux de la biomasse.

Une priorité : la descente énergétique

Dans la mesure où la décarbonation est un enjeu sociétal d’une extrême importance, où il importe de maximiser l’impact des fonds publics investis dans la décarbonation et où ces fonds ne sont pas illimités, la production et la distribution d’hydrogène vert et de bioénergies doivent trouver leur juste place dans une politique globale assurant que le système énergétique québécois sera décarboné avant 2050 et aura atteint sa cible de réduction des émissions de GES en 2030 – et ce, dans le respect des écosystèmes et au coût le plus optimal possible.

Par conséquent, nos efforts doivent être axés en premier lieu sur la réduction de la demande énergétique. En effet, selon la firme Dunsky Énergie + Climat [2], « En agissant sur ces leviers (nos façons de consommer, de se déplacer, de construire nos villes ou de nous alimenter), et avant même de s’attaquer aux changements technologiques, les émissions de GES seront réduites d’emblée de 20 % en 2050 par rapport au scénario de référence. »

De plus, « la réduction des demandes permettra non seulement de diminuer le coût de la transition vers les technologies sobres en carbone, mais également le risque de manquer nos objectifs si l’on se repose uniquement sur les technologies. Elles ont par ailleurs un impact positif important sur le bilan énergétique en diminuant l’électricité additionnelle requise pour effectuer la transition. »

Enfin, « certaines technologies en développement ou en processus d’homologation pourraient ne pas se matérialiser tel que prévu, mettant à risque certaines réductions d’émissions de GES […]. Cela souligne également l’importance des efforts visant à réduire les demandes énergétiques en premier lieu. »

RECOMMANDATION

Que le gouvernement du Québec lance dans les meilleurs délais une réflexion sur la descente énergétique en tant que première étape de l’élaboration d’une politique globale de décarbonation du système énergétique québécois et détermine par la suite la juste place de l’hydrogène vert et des bioénergies dans ce système en tenant compte de leur contribution potentielle à la décarbonation, de leurs impacts écologiques et de leurs coûts.

Les solutions sont ailleurs

Il est toujours hasardeux de tenter de prédire l’avenir. Une chose nous apparaît toutefois certaine : les prochaines décennies amèneront des changements profonds à notre monde. Bien que notre latitude à cet égard s’amenuise rapidement, il nous est encore possible d’influencer la nature de ces changements.

Un « maintien des affaires », qui prolongerait l’utilisation des combustibles fossiles, ne pourra qu’exacerber le réchauffement climatique, avec de très graves conséquences sur notre société. Par contre, il est encore possible de limiter celui-ci à un niveau tolérable en s’engageant immédiatement dans une véritable transition énergétique. Le Québec a la chance de disposer de ressources hydroélectriques rendant possible cette transition.

Nous n’avons toutefois pas le loisir de nous égarer dans de mauvaises voies. Nous devons nous affranchir rapidement des énergies fossiles, procéder à une électrification massive et réduire de moitié notre consommation énergétique globale. À la marge, des options comme l’utilisation de l’hydrogène vert et des bioénergies combleront certains besoins spécifiques; mais celles-ci doivent s’insérer au bon endroit et à la bonne échelle dans une stratégie globale. La seule poursuite d’occasions d’affaires ou de rayonnement international risque fort de compromettre l’atteinte de nos objectifs, et il s’agit d’un risque que nous ne pouvons pas nous permettre de prendre.

En bref, l’hydrogène et les bioénergies devraient être nos dernières cartes à jouer, après la sobriété, l’efficacité et l’électrification. Si le gouvernement n’ose pas se lancer dans une politique de sobriété par conviction ou par peur d’un discours auquel la population ne serait pas encore prête, nous devons nous mobiliser collectivement pour lui montrer que nous sommes bel et bien prêts à l’entendre et surtout que les cobénéfices seraient nombreux.

Pour la suite, le gouvernement devrait dévoiler sa stratégie sur l’hydrogène vert et les bioénergies au printemps 2022. Nous espérons que nos recommandations seront bien prises en compte.

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Andréas Louis

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