On entend souvent que pour “sauver les abeilles”, il faut installer des ruches. C’est une idée qui séduit : elle semble efficace, concrète et presque évidente.

Les ruches se font de plus en plus nombreuses en ville. On peut en croiser un peu partout : dans les arrière-cours, sur les toits d’immeubles, au détour d’une ruelle ou même dans certains parcs et bâtiments publics. À Montréal, une étude menée en 2023 par une équipe de chercheurs en biologie estime qu’en 2020, on comptait environ 3 000 colonies d’abeilles en milieu urbain. C’est un chiffre impressionnant quand on pense qu’il y en avait seulement 250 en 2013.
Si cette initiative part d’une intention positive, elle soulève néanmoins des questions quant à son impact réel sur la biodiversité locale.
Compétition inégale… Une bataille perdue d’avance pour les pollinisateurs indigènes
L’ajout de ruches dans les villes introduit une espèce non-indigène : l’abeille domestique Apis mellifera, originaire d’Europe, unique abeille qui produit du miel. Il s’agit d’une espèce généraliste capable de butiner une grande variété de fleurs, voire même parfois des sources sucrées artificielles comme des boissons sucrées laissées à l’extérieur. Chaque ruche introduit entre 15 000 et 50 000 abeilles supplémentaires, toutes en quête de nectar et de pollen dans un environnement urbain où les ressources en fleurs n’ont pas nécessairement augmenté.
De l’autre côté, les pollinisateurs indigènes, comme les bourdons, les abeilles solitaires ou d’autres espèces spécialisées, n’ont pas cette même capacité d’adaptation. Beaucoup d’entre eux dépendent de plantes locales bien précises, avec lesquelles ils ont co-évolué. Ils butinent moins de fleurs, mais de manière plus ciblée, ce qui les rend plus efficaces pour la pollinisation de certaines plantes, mais aussi plus vulnérables à la rareté de ces ressources.
Résultat : les abeilles domestiques, plus nombreuses et moins exigeantes, finissent par prendre le dessus, laissant de moins en moins de ressources aux pollinisateurs indigènes !
Une étude menée par l’Université Concordia a tiré la sonnette d’alarme : entre 2013 et 2022, le nombre d’espèces d’abeilles sauvages recensées à Montréal est passé de 163 à 120. Un déclin significatif qui coïncide avec la montée en flèche des ruches urbaines. Dans ce contexte, il devient urgent de repenser nos actions et d’explorer les alternatives possibles pour soutenir efficacement l’ensemble des pollinisateurs en ville.
Les jardins pollinisateurs : une alternative durable et efficace
Un jardin pollinisateur, c’est un espace aménagé pour accueillir et soutenir une grande variété d’insectes pollinisateurs : abeilles sauvages, bourdons, papillons, syrphes, coléoptères… On y retrouve principalement des plantes indigènes, c’est-à-dire des espèces locales adaptées aux conditions du milieu et qui ont évolué aux côtés de ces insectes.
Mais ce n’est pas tout...
Ces jardins peuvent aussi inclure des zones de sol nu, des tiges creuses, des pierres ou de petits tas de bois, qui servent d’abris ou de sites de nidification pour de nombreux pollinisateurs, notamment les abeilles solitaires, qui constituent la majorité des abeilles sauvages. Contrairement à l’abeille domestique, ces espèces ne vivent pas en colonie. Environ 70 % d’entre elles creusent leur nid directement dans le sol, tandis que d’autres préfèrent utiliser les tiges creuses ou le bois mort pour y déposer leurs œufs.
Les jardins pollinisateurs combinent donc alimentation et habitat. Et c’est ce qui les rend si efficaces : il ne s’agit pas seulement d’attirer les pollinisateurs, mais aussi de leur offrir les conditions nécessaires à leur reproduction et à leur survie.

Un autre avantage non négligeable : ces jardins s’intègrent facilement dans le paysage urbain. Pas besoin de grand terrain ni d’infrastructure complexe. Un balcon, une cour, une ruelle, un coin de parc ou même un toit peuvent devenir des espaces accueillants pour les pollinisateurs. Ce sont des aménagements simples à mettre en place, peu coûteux et faciles à entretenir. Contrairement aux ruches, qui nécessitent une gestion régulière et une certaine expertise, les jardins pollinisateurs fonctionnent presque en autonomie une fois bien installés. Ce sont des écosystèmes vivants : ils s’autorégulent, attirent spontanément une diversité d’insectes et évoluent au fil des saisons, sans qu’on ait à intervenir constamment.
Et encore le plus important...
Ces jardins permettent d’alléger la pression sur les ressources florales en ville. En offrant une plus grande diversité de fleurs riches en nectar et en pollen, ils limitent la compétition entre les abeilles domestiques et les pollinisateurs indigènes, et contribuent ainsi à maintenir un écosystème urbain plus équilibré et résilient.

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